lundi 5 décembre 2011

[Traduction] Préjugé culturel, sentience, rationalité et droits basiques.

(Traduction de l'essai de Dan Cudahy, avec son accord, "Cultural Prejudice, Sentience, Rationality, and Basic Rights ")

 

Dans mon essai, La sentience: la caractéristique moralement pertinente justifiant des droits fondamentaux , j’ai expliqué la pertinence morale de la sentience pour justifier le droit basique à la sécurité physique ; c’est-à-dire, le droit basique à ne pas être torturé, tué, ou à ne pas subir de tort physique ou psychologique. Bien que je pensais être suffisamment clair en formulant la pertinence de la sentience, l’essai restait malgré tout abstrait et théorique et beaucoup d’entre nous se rappellent mieux les arguments si un exemple concret est utilisé. Cet essai fournira un exemple concret sur la question –pourquoi la sentience, plutôt que le rationnel ou toute autre critère, est le critère moralement pertinent pour le droit à ne pas être exploité, torturé ou tué intentionnellement.

Un exemple de deux enfants [1]


Supposons deux enfants de 10 ans, sentients de la même manière, enfant A et enfant B. Enfant A est un prodige en mathématique et s’attaque déjà aux mathématiques de niveau universitaire ainsi qu’à la logique formelle avancée. Elle est le summum de la rationalité. Enfant B, au contraire, a des problèmes avec les calculs de base, ne sait pas lire malgré ses efforts, les efforts de ses parents et de ses professeurs. Il a également des problèmes d’émotion. Il pourrait avoir un certain degré de rationalité, mais c’est négligeable.

Les deux enfants sont en ballade ensemble dans leur quartier et sont enlevés par un dangereux psychopathe. Le psychopathe les emmène dans une cabane isolée et commence à les torturer et les tuer, violant donc leur droit morale basique à la sécurité physique.

Droits basiques sur base de la rationalité.

Selon la théorie que la rationalité est le critère pertinent pour les droits basiques, c’est l’enfant A qui a un bien plus grand intérêt à ne pas être tortué et tué car il est très rationnel. Si on suit ce mode de pensée, cel n’a pas tellement d’importance si l’enfant B est torturé et tué parce que, bien qu’il soit aussi sentient que l’enfant A et sa propre vie tout aussi importante, il n’est pas très rationnel. Donc selon la « justification rationnelle », nous devrions nous sentir moralement à l’aise que le psychopathe torture et tue l’enfant B quasi-rationnel, ou du moins ça ne serait pas aussi immoral que de torturer l’enfant A très rationnel, ce qui serait un grand mal à cause de ses capacités impressionnantes en géométrie analytique et logique moderne. Cela tombe sous le sens ? Les avocats anti-droits des animaux qui basent (malencontreusement) les droits sur la possession de rationalité sont, selon cette logique, forcés de conclure que ça tombe sous le sens de nier à l’enfant B un quelconque droit basique.

Droits basiques sur base du pouvoir.

(La « théorie des droits », revendiqués ou obtenus par la force, critiquée dans ce paragraphe ne vaut pas la peine d’être examinée si ce n’est pour la ridiculiser, mais puisque certains des avocats anti-droits des animaux les plus bornés, mais soi-disant armés jusqu’aux dents, la ressorte à l’occasion, je la mentionnerai ici. Si vous êtes d’une intelligence moyenne et zappez ce paragraphe, vous ne raterez rien de sérieux.)

Selon la théorie que la capacité à revendiquer ou obtenir par la force des droits est le critère pertinent pour les droits basiques, si notre psychopathe ne parle pas la même langue que les enfants, les enfants ne revendiqueront pas grand-chose ou rien de son point de vue (en supposant dans ce cas que les enfants soient conscients qu’ils puissent revendiquer certains droits), et n’auraient alors aucun droit.. et rien d’immoral n’aurait été fait puisque les droits n’ont pas été correctement revendiqués. Si « revendiquer » des droits signifie « se battre pour » ou « défendre » ces droits, je suppose que cela dépendra de la manière dont les enfants pourront se battre contre le psychopathe. Si le psychopathe est un adulte normalement développé, de bonne taille et en bonne santé, les enfants n’auront aucun droit (puisque le psychopathe gagnera le combat), et le psychopathe n’a rien fait d’immoral en les torturant et en les tuant (puisqu’il a gagné le combat). Toute « théorie des droits » qui se basent sur la revendication ou l’obtention par la force ou la propre défense de ses propre droits réduit simplement la question à de l’égoïsme rationnel ou une sorte de contrat social à la Hobbes. Selon un tel réductionnisme, le faible meurt simplement aux mains des forts dans une guerre ouverte implicite. C’est le rejet de la morale en tant que guide de nos personnes, habitudes et comportements.

Droits basiques sur base de la sentience.

Selon la théorie que la sentience est le critère pertinent pour les droits basiques, les deux enfants, A et B, ont un intérêt identique à ne pas être torturé et tué parce que les deux sont identiquement sentients. Par rapport à la « justification par la sentience », leur rationalité et capacité de pensée abstraite en soi ne sont pas pertinentes, tout comme le sont celles de la puissance et de la force, et seulement à cause de leur sentience, il est immoral de torturer et/ou de tuer chacun d’entre eux.

Remettre en question notre préjugé culturel

Si nous souhaitons éviter le dogmatisme et être raisonnablement cohérents avec notre raisonnement moral, nous nous devons d’appliquer le même critère – la sentience – aux êtres nonhumains comme nous le faisons pour les êtres humains sentients quand se pose la question du droit à ne pas être exploité, torturé ou tué intentionnellement.

Le fait que les enfants soient humains est tout aussi non pertinent que le fait qu’ils soient d’un certain sexe ou d’un tel groupe ethnique. Le spécisme, le sexisme et le racisme sont à leur racine tous les mêmes « –isme » et les mêmes préjugés culturels. La seule différence est l’autre qui est injustement exclu de la question. Les bases de la discrimination arbitraire sont comme les différents gouts de glaces végétales -riz ou soja- (qui sont délicieuses soit dit en passant). Vanille, chocolat et fraise sont les différences métaphoriques de l’espèce, du sexe et de la race, et la glace végétale est l’injustice métaphorique et le préjugé culturel soulignant les différences superficielles que sont l’espèce, le sexe et la race. Quel gout de préjugé adoptons nous aujourd’hui ? Ou sommes-nous trop déterminés à éviter la question, en défense de nos habitudes existantes ou préférences triviales, au lieu de lui donner la sérieuse remise en question qu’elle mérite ?

Bien évidemment, comme le montre l’histoire, au plus profond est le préjugé culturel, au plus aveugle est la personne par rapport à l’inexactitude et l’injustice de ses préjugés. Les mêmes arguments utilisés pour défendre les préjugés culturels promouvant la propriété, l’exploitation, la torture et l’abus des esclaves au 19e siècle en Amérique ressortent aujourd’hui pour défendre le préjugé culturel actuel promouvant tout ce qui va de l’agrobusiness industriel des animaux jusqu’à l’élevage de cochons ou poulets dans son arrière-cour dans un environnement pittoresque et paisible simplement pour les envoyer injustement au massacre quand l’humain a décidé qu’il est temps pour eux de mourir. Même dans beaucoup de cultures aujourd’hui, les femmes sont vues en tant que propriétés ou servantes pour les hommes de la communauté. Et pourtant les personnes qui baignent dans le préjugé culturel – peu importe si c’est par rapport aux femmes, certains groupes ethniques, ou espèces – sont au moins très réticentes à le transcender, et plus souvent sont totalement incapables de ne serait-ce le voir comme un problème. Le préjugé culturel est même encore plus fort quand il est aussi répandu, comme l’est le spécisme de notre société aujourd’hui.

Nous devons reconnaître et admettre nos préjugés culturels et nos angles morts moraux, qui sont tous aussi injustes que les préjugés de cultures qui abusent horriblement des femmes et des esclaves à notre époque ou abusaient des esclaves il y a un ou deux siècles. Nous nous devons d’appliquer cette « rationalité »  -- pour laquelle on est apparemment si fier  -- à notre pensée par rapport à notre propre comportement envers les êtres nonhumains. Nous devons devenir vegan et encourager les autres personnes à en faire de même.
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Note:


[1] J’ai choisi des enfants plutôt que des adultes pour l’exemple à cause de l’innocence et de la vulnérabilité que les enfants ont en commun avec les êtres nonhumains typiques qu’on exploite et tue. Une telle innocence et vulnérabilité de n’importe quelle victime (qu’elle soit humaine ou nonhumaine) renforce l’immoralité de l’exploitation et de la mise à mort. Par « innocence », je veux dire un manque d’expérience dans le monde comme acteur moral, pas le fait qu’un animal sentient ou un enfant de 10 ans puisse causer des douleurs sérieuses à une personne ou pas. Les deux pourraient clairement causer des douleurs sérieuses dans certaines conditions, mais ils ne pourraient pas être coupables de telles douleurs puisqu’ils n’ont pas le libre arbitre moral.

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