(Traduction de l'essai de Dan Cudahy, avec son accord, "On Fact-Value Entanglement")
(Cet essai fut publié à l’origine dans The Abolitionist.)
Dans notre société moderne, ce que nous appelons « faits » est généralement tenu bien plus haut en estime épistémique que ce que nous appelons « valeurs ». Et les plus estimés de tous les faits sont ce que nous appelons « faits scientifiques ». Et de ce que nous appelons « valeurs », les moins estimées en tant que connaissances sont ce que nous appelons « valeurs morales ». En effet, beaucoup de gens vont jusqu’à nier qu’il puisse y avoir un quelconque « fait moral », déclarant à la place que toutes les revendications morales ne peuvent seulement être qu’une expression des valeurs de culture humaine ou individuelle, qui à leur tour sont à peine plus que les expressions d’émotions ou d’opinions subjectives (faibles).
Mais une telle dichotomie entre des faits et des valeurs devrait-elle exister ? Comme j’argumenterai plus bas, bien qu’une distinction entre des faits et des valeurs puisse être utile, la dichotomie moderne généralement acceptée entre faits et valeurs est tout simplement erronée. Plutôt, les faits et les valeurs sont interdépendants ; et c’est une importante source de confusion, surtout de confusion morale, de prétendre que faits et valeurs sont deux catégories entièrement différentes, et sans rapport, de pensées et perceptions.
Valeurs scientifiques
Beaucoup de lecteurs pourraient être surpris que la théorie de la connaissance appuyant les affirmations scientifiques se base fortement sur des jugements de valeur épistémique ; par conséquent, comme l’a justement déclaré le philosophe et mathématicien américain Hilary Putnam, les faits et les valeurs sont enchevêtrés.
Laissez-moi m’expliquer. La grande majorité des déclarations scientifiques, avec l’exception classique des données d’observation ennuyeuses, sans assistance, sont chargées de théorie. Par exemple, lorsque nous voyons le soleil « se lever » le matin (une observation), selon que nous croyons que le soleil bouge (fait possible) ou que nous bougeons (fait possible) dépendra de notre théorie du mouvement planétaire. Lorsqu’il y a un tremblement de terre (une observation), selon que nous croyons que le tremblement fut causé par une cassure dans une faille géologique le long d’une plaque (fait possible) ou causé par Zeus (fait possible) dépendra de notre théorie des causes des tremblements de terre. Être chargé de théorie ne signifie pas que les affirmations de faits sont peu fiables, ou fausses, mais cela signifie bien qu’elles sont enchevêtrées dans les valeurs.
Qu’est-ce que cela signifie pour une théorie ou déclaration scientifique de fait d’être enchevêtrée dans les valeurs ? Les valeurs scientifiques de parcimonie, élégance, falsifiabilité, vérifiabilité, consistance logique, consistance mathématique, consistance d’observation, pouvoir explicatif, et pouvoir prédictif sont toutes des valeurs aussi bien de théories scientifiques que d’affirmations de fait, aucune d’entre elles ne rendant les théories ou affirmations vraies (en particulier seules), mais prises ensemble elles augmentent significativement la probabilité de n’importe quelle théorie ou affirmation de vérité donnée. Ces valeurs sont les raisons, par exemple, pour lesquelles les biologistes choisissent l’évolution au lieu du « dessin intelligent » ou du créationnisme pour expliquer l’existence des espèces et autres phénomènes biologiques.
Par conséquent, la science et les déclarations scientifiques de faits sont pleines à craquer de valeurs. Cela ne signifie pas que la vérité soit subjective ou relative en science, pas plus que l’enchevêtrement avec les valeurs signifie que la vérité soit subjective ou relative en morale. Cela signifie qu’il existe des critères de valeur utiles (valeurs) pour déterminer quelles théories, affirmations de fait, et interprétations d’observation ont plus tendance à être vraies. Et notre certitude en ce qui concerne la vérité scientifique est fortement tributaire des valeurs.
Valeurs morales
A part les nihilistes, les gens admettront volontiers qu’il existe des valeurs en morale. Les valeurs morales incluraient la justice, l’équité, l’empathie, l’intégrité (consistance d’attitudes, croyances et comportement, aussi bien entre elles qu’au fil du temps), et l’épanouissement de tous les êtres sentients. Tout comme pour les valeurs scientifiques, l’application de valeurs morales (surtout prises seules) ne rendent pas une affirmation morale de fait vraie (ex, une déclaration morale de faits telle que « il est immoral de torturer un enfant. »), mais prises ensemble, cela augmente la probabilité de n’importe quelle déclaration morale de vérité donnée par rapport à une déclaration morale concurrente. Comme c’est le cas pour la science et les déclarations scientifiques de faits, la morale et les déclarations morales de faits sont pleines à craquer de valeurs. Cela ne signifie pas que la vérité est subjective ou relative en morale, pas plus que l’enchevêtrement avec les valeurs signifie que la vérité est subjective ou relative en science. Cela signifie qu’il existe des critères de valeur utiles (valeurs) pour déterminer quelles affirmations de fait moral sont plus vraisemblablement vraies. Et tout comme notre certitude par rapport à la vérité scientifique dépend fortement de valeurs, notre certitude par rapport à la vérité morale en dépend également.
Confondre psychologie humaine et moralité
A ajouter à la confusion de la fausse dichotomie entre les faits et les valeurs, on trouve également l’amalgame entre psychologie humaine et moralité. Lorsque nous tentons de dériver les faits et valeurs morales de la psychologie humaine, un peu comme l’ont fait David Hume et les sentimentalistes britanniques, nous nous retrouvons avec une infaillibilité morale personnelle ou culturelle et les contradictions incalculables qui résultent de la grande variété de soi-disant « sentiment moral » parmi différentes cultures, personnes, et époques historiques. « Le sentiment moral » survient sous la forme de racisme, sexisme, et spécisme pour aboutir à un génocide, esclavagisme, et oppression dans certaines cultures. « Le sentiment moral » n’est souvent rien de moins qu’un préjugé culturel combiné à une tradition aveugle. Qu’en serait-il si nous confondions la psychologie humaine et la science de la même manière ? Nous dirions alors que l’évolution et le dessin intelligence, bien que contradictoires, sont des façons tout aussi valables de voir le monde du point de vue de ceux qui tiennent les valeurs épistémiques respectives soutenant chaque théorie. Nous devrions soutenir que nous sommes infaillibles en regard de la connaissance scientifique, et les contradictions résultantes de « faits » scientifiques sont acceptables. En d’autres mots, si nous acceptions des préjugés culturels et individuels en moralité, alors les superstitions culturelles et individuelles devraient être acceptées en science. Après tout, n’est-ce pas simplement une différence de valeurs, morales ou scientifiques ?
Justification de valeurs
Pourquoi devrions-nous accepter les valeurs scientifiques et morales énumérées dans les deux parties ci-dessus ? Comment savons-nous que ces valeurs elles-mêmes ne sont pas une question de superstition ou préjugé ? Autant pour les valeurs scientifiques que morales, nous pouvons en fin de compte seulement nous appuyer sur les valeurs elles-mêmes (et la dépendance à l’égard de notre expérience du monde est l’une de ces valeurs) pour confirmer la certitude de la vérité dans chaque cas – moralité et science.
Mais s’appuyer sur des valeurs pour confirmer les valeurs n’est-il pas une justification circulaire ? Oui, ça l’est ; mais nous n’avons pas le choix en science ou moralité. C’est notre intuition, notre rationalité, et notre expérience sur lesquelles se basent de telles valeurs. Puisque nous ne pouvons pas transcender notre intuition, notre rationalité, ou notre expérience pour confirmer notre intuition, notre rationalité et notre expérience, nous nous retrouvons au final avec une toile Quinéenne de valeurs et de faits enchevêtrés, pas une « fondation » sur laquelle nous construisons des valeurs et des faits. Nos valeurs scientifiques et morales fondamentales peuvent être considérées comme la partie la plus solide et la plus indispensable de la toile, car elles fournissent la plupart du soutien pour les croyances factuelles dans la toile. Si nous voulons éviter les contradictions internes, nous devons considérer les répercussions de tout ajustement de la toile. A ce titre, les ajustements des valeurs fondamentales seront le type d’ajustements que nous serions le moins susceptible de faire.
Valeurs morales appliquées au véganisme
L’application des valeurs morales de justice, équité, empathie, intégrité, et épanouissement de tous les êtres sentients est la raison pour laquelle les vegans abolitionnistes rejettent l’exploitation animale. Outre le fait que la nourriture végane soit délicieuse, il n’y a pas de nutriments connus dans les produits animaux qui ne soient pas disponibles auprès de sources non-animales (dont la vitamine B12). Il existe des alternatives viables et plus efficaces à presque toutes (si pas toutes) les expérimentations sur animaux. Il en découle que au moins 99.99% de l’exploitation animale est à la fois dispensable et dommageable envers les innocents. Exploiter les autres animaux viole de manière flagrante les valeurs morales fondamentales. D’un point de vue moral, exploiter d’autres animaux est l’équivalent scientifique consistant à préférer la théorie qui a été falsifiée, qui pose des explications excessives, et qui échoue à expliquer ou prédire quoi que ce soit, tout en rejetant la théorie qui satisfait les valeurs scientifiques. Tenter de justifier l’exploitation des autres animaux est moralement absurde.
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