(Traduction de l'article de Maya Shlayen, "Striking at the roots of patriarchy")
Le 6 décembre marque l’anniversaire du massacre de l’Ecole Polytechnique à Montréal. Ce jour-là en 1989, un tireur solitaire – Marc Lépine – est entré dans l’école et a spécifiquement tiré sur des femmes. Après avoir tué 14 femmes et blessé 14 autres personnes, il se suicida. Sa lettre de suicide blâmait les « féministes » d’avoir ruiné sa vie. En tant que canadiens, le pays commémorant cette tragédie, nous sommes invités à réfléchir sur la manière dont la violence contre les femmes continue d’imprégner notre culture et se répercute négativement sur nous tous.
Selon Statistics Canada, la femme moyenne ne gagne encore seulement que 71% par rapport à un homme moyen, et cet écart n’a pas considérablement changé ces dix dernières années. La grande majorité des victimes de violence conjugales – 8 sur 10 – sont des femmes, et 1 femme sur 4 en Amérique du Nord peut s’attendre à être agressée sexuellement au cours de sa vie.
Bien que les hommes qui commettent des agressions sexuelles soient minoritaires, leurs actes se produisent dans le contexte plus grand d’une culture qui marchande sans relâche le corps féminin à chaque occasion. Des concours de bikini aux clubs de strip-tease en passant par l’utilisation de mannequins pour « vendre » des biens de consommation, le message est clair : le corps féminin existe pour le plaisir sexuel des hommes. Des êtres humains réfléchissant, respirant, ressentant, sont réduits, dans notre culture de consommation, à une fin pour les moyens de quelqu’un d’autre. Cette hypersexualisation de nos corps crée une énorme quantité de pression sur nous pour paraître et agir de manière sexy à tout moment, parce qu’on nous dit (implicitement et explicitement) que notre mesure principale de valeur réside dans notre capacité à satisfaire les hommes.
L’idée que certains corps existent pour le plaisir des autres est, bien évidemment, de l’obscénité. Et pourtant chacun de nous – homme ou femme, féministe ou pas – rejoint cette même idée, non seulement à travers notre pornification constante du corps féminin, mais également à travers quelque chose d’autre : notre consommation d’animaux et de ‘produits’ animaux.
En vertu de leur sentience, tous les animaux – humains ou pas – se soucient de leur vie, et souhaitent éviter la souffrance et la mort. Malgré le fait de n’avoir aucun besoin nutritionnel à consommer des ‘produits’ animaux, et pour le seul intérêt de notre plaisir gastronomique, nous condamnons 665 millions d’animaux de ‘ferme’ (sans compter les poissons) à une vie misérable et hideuse, à une mort prématurée, chaque année seulement dans ce pays. Comme nous prenons le temps en ce jour pour remettre en question l’obscénité des hommes présumant propriété des corps des femmes, combien d’entre nous remettront en question la même obscénité et notion (se renforçant mutuellement) que les corps des nonhumains existent pour le plaisir des humains ?
Lorsqu’un sens de propriété sur le corps de quelqu’un d’autre se présume dès le départ, cela se traduit en un équilibre de pouvoir qui favorise invariablement le groupe dominant aux dépens des désavantagés. Nous avons tous entendus parler de cas où des hommes sont sortis d’une rencontre sexuelle avec le sentiment que tout était ok et consenti, alors que leur partenaire féminine restait avec un sentiment d’abus. Une conclusion possible à tirer ici est qu’au moins quelques hommes ont un sentiment de droit lorsqu’il s’agit de sexe, acquis tout au long d’une vie d’endoctrinement qui assimile la masculinité avec l’agression et la puissance – cette dernière étant définie, dans notre culture patriarcale, comme la capacité à la violence et à la soumission. Et c’est exactement pourquoi il est absurde de déclarer, comme certains le font, que les femmes peuvent se responsabiliser en participant à leur propre marchandisation. Bien sûr, les femmes au club de strip-tease ‘choisissent’ de travailler là. Mais ce ‘choix’ fut fait dans le contexte d’une culture dans laquelle les femmes n’ont pas les ressources économiques que les hommes ont, dans laquelle on leur a appris, dès leur plus jeune âge, que c’est leur travail de faire plaisir aux hommes ; et dans laquelle on a appris, dès leur plus jeune âge, aux hommes, qui paient pour les regarder se dégrader elles-mêmes, qu’ils ont droit à un privilège sexuel sur les femmes. L’exploitation approuvée par la victime reste de l’exploitation.
La même chose s’applique à notre relation avec les nonhumains. L’exploitation « humaine » -- qui est un terme mal approprié, car toute utilisation animale implique de la violence indicible – est un leurre qui ignore la dimension structurelle de l’exploitation en question. C'est-à-dire, les nonhumains ‘domestiqués’ sont des horreurs de la nature génétiquement manipulées qui existent dans un état permanent de vulnérabilité. Mis au monde pour leur utilisation par leurs propriétaires humains, des individus nonhumains – qui ne sont rien de moins que des biens de propriété aux yeux de la loi – sont continuellement tourmentés et abusés pendant la durée de leur courte et misérable vie, jusqu’au moment de leur abattage. Ce dernier instant – moment où nous leur volons leur vie – se traduit en une brutalité qu’aucun mot ne pourrait condamner assez fortement. L’idée que la violence hideuse infligée aux êtres vulnérables puisse être réconciliée avec quelque chose qui puisse être décrit de manière cohérente comme « humain » est de la pure fantaisie. A côté du ‘choix’ des femmes à l’auto-marchandisation dans une société patriarcale, ou le ‘choix’ des travailleurs dans une société capitaliste à peiner dans un environnement de travail abusif, l’esclavagisme « humain » des nonhumains semble être la dernière d’une série d’illusions morales servant à rassurer un groupe oppresseur par rapport à la légitimité supposée de leur oppression sur les autres.
La connexion entre la patriarcat et l’exploitation des nonhumains devient surtout évidente si nous nous penchons sur l’utilisation des animaux femelles. Les poules, qui pondraient seulement quelques œufs par an dans la nature, ont été génétiquement manipulées par les humains afin de pondre des centaines d’œufs par an. Puisque la ponte épuise les nutriments de leurs corps, leur utilité pour les humains dépend de la mesure à laquelle leur système de reproduction féminin peut être exploité, et leur corps blessé. Et une fois que leur productivité chute à une fraction de leur vie naturelle, elles sont abattues.
De même, les vaches ‘laitières’ sont exploitées pour leur capacité à produire du lait. Puisque les vaches, comme tous les mammifères, doivent donner naissance avant de pouvoir produire du lait, elles sont maitrisées, tous les ans, sur un « support à viol », où elles seront artificiellement inséminées. Lorsque leur bébé vient au monde, il ou elle sera enlevé, et le lait maternel qui était destiné au bébé est à la place volé par les humains. La douleur atroce que cause cette séparation autant pour la mère que pour le veau, et l’agonie de la traite agressive qui suit, sont bien au-delà de ce que de simples mots pourraient rendre justice. De manière intéressante, ce lait – destiné à aider le veau à gagner des centaines de livres en l’espace de quelques mois – a un fort contenu en graisse saturée et en hormone, qui est lié à une oestrogénicité accrue et à la croissance de tumeur liée au cancer du sein chez les femmes. Nous exploitons les seins des bovines pour obtenir un « produit » qui nuit aux seins des humaines.
Si vous êtes féministe, et que vous n’êtes pas vegan – pourquoi ne l’êtes-vous pas ? Si vous êtes contre l’exploitation des vulnérables, et que vous n’êtes pas vegan – pourquoi ne l’êtes-vous pas ? Si la justice et la non-violence vous importent, et que vous n’êtes pas vegan – pourquoi ne l’êtes-vous pas ?
Condamner la violence gratuite contre un groupe désemparé est facile à faire quand c’est quelqu’un d’autre qui le fait. Mais si nous voulons un jour régler le foutoir chaotique qu’est notre monde, il incombe à chacun d’entre nous de réévaluer et de rejeter en fin de compte le paradigme ‘force fait loi’ de la violence et de la domination que nous avons fini par accepter comme étant « l’ordre naturel des choses ». Toutes les formes d’injustice sont liées et se renforcent mutuellement. Aussi longtemps que nous tolérerons l’oppression de n’importe quelle sorte, nous tolérerons nécessairement – et renforceront – l’oppression de toute sorte.
Ce 6 décembre, dites « non » à la violence contre les femmes en rejetant la notion que certains corps existent pour le plaisir des autres. Dites « non » au patriarcat en rejetant la violence patriarcale à sa racine.
Féministe ? Devenez vegan.
Excellent article, merci !
RépondreSupprimerPourquoi tenter l'excuse des "hommes minoritaires" à user de la violence sexospécifique : Le problème n'est pas là de savoir combien sont-ils.
RépondreSupprimerMais des dégats qui en résultent ! Notamment qui est la soumission et le plébiscite des femmes, qui tendent l'autre joue pour la majorité du monde.
Il faut déjà reconnaître, qualifier, décompter les féminicides. Après seulement, l'on pourra dire s'occuper réellement d'arrêter les agressions féminicides (et en minuscule proportion, quoique grandissant, les violences androcides). Pourquoi tenter l'excuse des "hommes minoritaires" à user de la violence sexospécifique : Le problème n'est pas là de savoir combien sont-ils.
Il faut déjà reconnaître, qualifier, décompter les féminicides. Après seulement, l'on pourra dire s'occuper réellement d'arrêter les agressions féminicides (et en minuscule proportion, quoique grandissant, les violences androcides). http://susaufeminicides.blogspot.com/p/but-blog.html
http://susaufeminicides.blog.lemonde.fr/
Excellent article que je partage sur mon blog.
RépondreSupprimerSuperbe commentaire!
RépondreSupprimerExcellent article sur l'interconnectivité du sexisme et du spécisme!
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