(Si vous ne savez pas ce qu’est l’anti-spécisme, je vous redirige vers l’excellent article de L’Elfe : L'anti-spécisme pour les nuls )
« 1939. Dans une Allemagne nazie.
« 1939. Dans une Allemagne nazie.
Friedrich, 30 ans, et Lorelei, 25 ans, sont amoureux et vivent ensemble depuis bientôt 5 ans à Berlin.
Ils ont tous les deux grandi dans des familles antisémites et ont, comme beaucoup d’allemands à cette époque, développé un fort sentiment de haine contre les juifs. Friedrich n’est pas aussi radical que d’autres membres de sa famille mais se sent malgré tout bien dans ce milieu et ne l’a jamais réellement remis en question. Il finance d’ailleurs régulièrement le parti national socialiste, il se rend à des congrès nazis, le portrait d’Adolf Hitler trône fièrement dans son salon, comme bon nombre d’autres allemands. Friedrich est antisémite. C’est "normal" à cette époque en Allemagne.
Un jour, alors qu’il est en difficulté avec sa voiture, un homme lui vient en aide. Le courant passe bien et les deux hommes se lient rapidement d’amitié. Ils décident d’aller boire un verre dans un bar. La discussion est chaleureuse, les sujets variés, sport, voyage, art.. Ils ont beaucoup de points en commun. Friedrich considère cet homme comme quelqu’un de formidable. Mais cet homme a un secret que Friedrich ignore : sa mère est juive.
Lorsque Friedrich finit par l’apprendre, il est dévasté et furieux. Il se sent trahi et honteux de s’être lié d’amitié avec cet homme et de lui avoir confié des choses personnelles.
Il n’en dort pas de la nuit et se met à réfléchir : à réfléchir sur ce qu’on lui a appris, sur ce rejet de l’étranger, sur ce que la société nazie lui a mis dans le crâne, sur cette haine de l’autre qui lui a été inculquée depuis son enfance, sur les valeurs qui lui ont été transmises.
Le lendemain, sa vision du monde a radicalement changé : il ne veut plus jamais voir les juifs comme des personnes inférieures mais bien comme des humains comme les autres, qui méritent le respect comme tout autre être humain, qui ont le droit de vivre, des humains comme lui et comme Lorelei.
Il se confie à sa bien-aimée et lui fait part de sa décision. Lorelei, très amoureuse de Friedrich, arrive à comprendre pourquoi il pense maintenant de la sorte mais lui fait néanmoins savoir que la vie est ainsi faite, que ce n’est pas son combat et qu’il n’est pas question qu’elle arrête de cautionner le national-socialisme et Hitler. Elle pourrait éventuellement envisager d’un peu moins s’impliquer, de diminuer son financement, mais le supprimer totalement serait trop dur à vivre dans cette société nazie. Sa vie serait bouleversée. Qu’est-ce que ses amies pourraient dire ? … Et si ils ont un enfant ? Il faudrait quand-même bien lui inculquer les vraies valeurs familiales, celles dans lesquelles ils ont grandi tous les deux. C’est ce qui se fait depuis longtemps. Ca a toujours été comme ça.
Friedrich est déboussolé, il ne sait pas si il pourra continuer à vivre dans ce milieu antisémite… certainement pas chez lui, pas dans sa propre maison. Les conflits avec Lorelei sur la question se font de plus en plus nombreux. Elle trouve que Friedrich est devenu extrême dans ses convictions. Ce n’était déjà pas facile avant à cause de certains de ses gros défauts. Il ne veut plus regarder les allocutions politiques national-socialistes à la télévision, il hait le portrait d’Hitler qui trône dans le salon, il n’achète plus de journaux antisémites, il a cessé tout financement aux partis. Il refuserait même de mettre son enfant dans une école nazie comme tous les autres enfants.
Il ne supporte plus les traitements réservés aux juifs. Elle le trouve obnubilé avec ça.
Il ne supporte plus les traitements réservés aux juifs. Elle le trouve obnubilé avec ça.
Après quelques mois, ils sont forcés de réaliser qu’ils ne peuvent plus vivre ensemble, leurs idées sont trop éloignées. Friedrich persiste à refuser toute trace d’antisémitisme dans sa demeure et ça en devient insupportable pour Lorelei. Elle trouve que Friedrich n’est plus quelqu’un de normal dans cette société nazie.
Friedrich aime pourtant profondément Lorelei, il comprend qu’on puisse ne pas avoir la force de rejeter l’antisémitisme comme cela, comme il l’a décidé; dans cette société, cela peut être perçu comme ridicule, comme extrême, on peut être marginalisé… Mais malgré tout il ne peut se résoudre à continuer de voir cela chez lui et pire, à éduquer son futur enfant de la sorte. La fissure est profonde entre leurs mondes respectifs.
Aujourd’hui, Friedrich et Lorelei se séparent et vendent leur maison, qu’ils venaient d’acheter il y a quelques mois. Leur entourage est surpris et ne comprend pas du tout Friedrich, sa famille non plus. Friedrich a tellement changé en si peu de temps. Et dans cette Allemagne nazie, très peu de monde le comprend.
2011. Quelque part en Europe.
Luc, 30 ans et Julie, 25ans, sont amoureux et vivent ensemble depuis bientôt 5 ans.
Ils ont tous les deux grandi dans des familles spécistes …
…
… Aujourd’hui, Luc et Julie se séparent et vendent leur maison, qu’ils venaient d’acheter il y a quelques mois. Leur entourage est surpris et ne comprend pas du tout Luc, sa famille non plus. Luc a tellement changé en si peu de temps. Et dans cette société spéciste, très peu de monde le comprend. »
A travers cette petite histoire, j’ai voulu poser la question : est-ce qu’un antispéciste peut avoir une relation amoureuse sérieuse avec une personne spéciste ? Pourraient-ils fonder une famille et vivre heureux ensemble ?
La question peut sembler idiote et pourtant... Les couples végétariens-non vg sont assez courants dans le milieu des droits des animaux, végétaliens-non vg également, vegan-non vg : pourquoi pas après tout ? A partir du moment où la personne plus sensible aux animaux n’ « impose » pas (je n’aime pas ce terme mais bon) sa vision des choses à son entourage, cela peut fonctionner.
Certains vg continuent à préparer des plats non-vg à leur moitié et arrivent à faire abstraction du morceau de viande/œuf/fromage devant eux pendant qu’ils cuisinent, ce qui n’est pourtant pas facile ; les images d’horreur peuvent défiler devant soi à la simple vue de certains « ingrédients ».
Mais dès qu’on parle d’antispécisme, la donne change.. On peut déjà éliminer les végétariens et les végétaliens de l’équation : les végétariens restent (peut-être sans le savoir) spécistes car ils continuent de cautionner l’esclavagisme des vaches laitières, des poules, etc.. ils n’ont pas été jusqu’au bout du raisonnement en matière des droits des animaux et acceptent que les animaux soient considérés comme des marchandises et non comme des personnes. Idem pour les végétaliens si on se réfère à la définition du mot : le végétalisme (et le végétarisme) n’est après tout qu’une pratique alimentaire et on pourrait très bien imaginer un végétarien/végétalien dans un zoo ou avec une veste en cuir. Donc il est tout à fait plausible que deux personnes spécistes (dont une végétarienne/végétalienne) vivent amoureusement ensemble et élèvent leurs enfants de la sorte.
Le veganisme se rapproche beaucoup plus de l’antispécisme ; il y a de grandes chances qu’une personne vegan soit antispéciste et je pars ici du principe que c’est le cas (mais il y a bel et bien des vegans spécistes).
Est-ce qu’un vegan peut réellement vivre en harmonie avec une personne non-vegan (et forcément spéciste) et fonder une relation sérieuse? Il paraît que oui, que c’est faisable. Que par amour on peut ne pas tenir compte du spécisme de son/sa conjoint(e).
Pourtant, pour peu qu’on soit sérieux par rapport à ses valeurs fondamentales, j’ai vraiment du mal à imaginer la chose. Comme j’ai beaucoup de mal à imaginer que Friedrich aurait pu continuer à vivre avec Lorelei dans ce milieu antisémite.
Oui un antispéciste peut vivre avec une personne spéciste. Mais à quel prix pour son intégrité ? Friedrich aurait certes pu continuer à vivre avec Lorelei dans ce milieu antisémite, à élever son enfant de la sorte, l’inscrire dans une école nazie.
Mais est-ce que l’amour vaut plus que tout cela ? Est-ce que l’amour doit passer avant des valeurs fondamentales de justice ? avant ses convictions les plus profondes ? Est-ce que Friedrich devait choisir entre Lorelei et les juifs ? Non. Il devait choisir entre Lorelei et ses nouvelles valeurs fondamentales.
Vivre dans un société spéciste quand on est vegan n’est déjà pas facile en soi. Mais entretenir ce spécisme chez soi et élever son enfant de la sorte requiert que l’on refoule ses valeurs fondamentales au plus profond de soi et qu’on soit alors tout simplement quelqu’un d’autre.
Est-ce qu’une personne fondamentalement contre le racisme peut fonder un foyer avec une personne raciste ? même si c'est seulement envers les asiatiques ?
Est-ce qu’une personne fondamentalement contre l’hétérosexisme peut fonder un foyer avec une personne homophobe ?
Est-ce qu’une personne fondamentalement contre le spécisme peut fonder un foyer avec une personne spéciste ?
Ces 3 questions ont un dénominateur commun : la violence. Est-ce qu’une personne fondamentalement contre la violence peut fonder un foyer avec une personne qui cautionne la violence, sous quelque forme que ce soit ?
Le racisme, l’hétérosexisme, le spécisme sont toutes des formes de violence qu’il est important de rejeter.
Est-ce que le spécisme doit être mis de côté et doit être moins pris au sérieux que d’autres formes de violence parce qu’il concerne « seulement » les animaux ? Si une personne pense que oui, elle est forcément spéciste elle-même. On ne peut se déclarer antispéciste et penser que la violence faite aux animaux nonhumains est moins importante que celle faite aux humains, et peut être mise sur le côté.
Friedrich aurait pu fonder une famille avec Lorelei et aurait pu militer contre l’antisémitisme juste dans son coin. Mais est-ce choquant qu’ils aient fait ce choix de se séparer ?
Est-ce que Friedrich est à blâmer pour ses convictions profondes, parce qu'il ne supportait plus cette violence chez lui ? non.
Est-ce que Lorelei est à blâmer parce qu'elle est née et vivait dans une société antisémite ? non.
Mais je reste persuadé que l’un des deux aurait été profondément malheureux en voyant son enfant faire le salut hitlérien.
"Pour ces créatures, tous les humains sont des nazis..." -Isaac Bashevis Singer
Friedrich aurait pu fonder une famille avec Lorelei et aurait pu militer contre l’antisémitisme juste dans son coin. Mais est-ce choquant qu’ils aient fait ce choix de se séparer ?
Est-ce que Friedrich est à blâmer pour ses convictions profondes, parce qu'il ne supportait plus cette violence chez lui ? non.
Est-ce que Lorelei est à blâmer parce qu'elle est née et vivait dans une société antisémite ? non.
Mais je reste persuadé que l’un des deux aurait été profondément malheureux en voyant son enfant faire le salut hitlérien.
"Pour ces créatures, tous les humains sont des nazis..." -Isaac Bashevis Singer
Je pense pour ma part que ça vaut le coup de se lancer dans une relation avec une personne spéciste dans la mesure où celle-ci est susceptible de changer. La difficulté est de savoir quelles sont les chances pour que la personne change effectivement... !
RépondreSupprimerJe ne tiendrais pas plus de quelques mois avec une personne spéciste, le temps qu'elle comprenne mes différents combats (le véganisme ne fait pas tout) et qu'elle décide si elle pourrait les épouser ou pas. (À défaut de m'épouser moi, puisque je m'oppose également à l'acte de mariage. :))
De toute façon, la seule attraction que je pourrais éprouver envers une personne spéciste, raciste, hétérosexiste ou fasciste ne serait forcément que d'ordre physique... Et je n'ai pas pour habitude de tisser des liens à partir de ce seul critère. C'est un peu comme mon rapport avec les aliments d'origine animale : je me sens bien évidemment attiré-e par leur goût qui me plai(sai)t mais ce n'est plus un critère suffisamment pertinent pour justifier que je les consomme.
Est-ce que c'est ça, être vegansexuel ? ;)
Oui d'accord avec toi, dans la mesure où elle est susceptible de changer. Je cherche toujours un spécismomètre, en vain.
RépondreSupprimer"Je ne tiendrais pas plus de quelques mois avec une personne spéciste, le temps qu'elle comprenne mes différents combats (le véganisme ne fait pas tout) et qu'elle décide si elle pourrait les épouser ou pas."
(Idem pour ma part, l'histoire est tirée de ma situation personnelle en fait.)
Jamais entendu vegansexuel mais l'expression est cocasse. J'aime :D
"Est-ce que Lorelei est à blâmer parce qu'elle est née et vivait dans une société antisémite ?"
RépondreSupprimerSincèrement,je pense que oui, elle est à blâmer pour n'avoir pas su ouvrir les yeux. Ok, elle n'a pas fait la même rencontre que Friedrich, mais elle avait à la maison quelqu'un qui avait les yeux grands ouverts et n'a pas su se laisser guider ! Elle est donc pour moi, encore plus à blâmer que tous les autres antisémites. A elle, il lui a été donné la possibilité de se poser des questions, de changer les choses et, par peur du qu'en-dira-t-on, elle a volontairement choisi de conserver son mode de vie, elle a même refusé d'y réfléchir, sans doute parce qu'au fond d'elle, elle savait que c'était mal. Elle a CHOISI le confort, tous les autres n'ont pas eu le choix. Donc oui, Lorelei est à blâmer, d'autant plus qu'elle vivait avec Friedrich !
Tiens, je lis cet article, ce n'est pas un hasard, je me suis fait la réflexion dernièrement : toutes mes histoires de cœur ont échoué au bout de quelques mois depuis que je suis vegane. Pourquoi? Et bien oui le fait que je sois vegane et que l'autre non y est pour beaucoup. Car comme il est dit dans un des commentaires, être vegane au quotidien, ce n'est déjà pas facile, mais avec son copain, c'est pire. Surtout quand insidieusement, consciemment ou pas, j'ai droit tout le temps à des réflexions déguisées en "humour" sur le sort des animaux, que ce soit au moment des repas, ou quand on fait des courses. Même si la plupart ont cuisiné végétalien quand ils étaient avec moi, ce n'est pas pour autant qu'ils ont eu une prise de conscience. Au contraire, à la moindre occasion de manger de la chair animale ou du fromage , ils sautaient dessus, quand ils ne l'occasionnaient pas. Et sont tous retournés à leur alimentation carnée après la rupture.
RépondreSupprimerEt je me suis dit, pourrais-je vivre avec un pédophile? un violeur. un tueur en série? un raciste? NON! Et non je ne peux être amoureuse d'un spéciste qui ricane devant ma "sensiblerie", et ne veut pas renoncer à son petit plaisir gustatif, ou trouve que j’exagère. Ce sont des complices de meurtres, et pire, ils en sont les cautionnaires.
J'ai lu que pour être amoureux, il faut avoir une certaine admiration. Comment pourrais-je admirer un mec qui n'a pas de conscience assez développée, et un cœur si mesquin? (parce la plupart des mecs avec qui je suis sortis ne pouvaient plus dire qu'ils ne savaient pas, qu'ils ignoraient la réalité. et c'est donc en toute connaissance de cause qu'ils ont tous choisi de continuer à être omni . un est devenu végétarien flexitarien, un truc dans le genre. pour moi c'est la pire des hypocrisies, c'est se donner une bonne conscience, mais être pareil qu'un omni, avec un peu plus de mauvaise en foi.)
Comment un tel mec pourrait-il m'aimer? alors qu'il est capable de caresser un chat et de s'empiffrer avec un morceau d'un veau mort?
Du coup je crains de finir célibataire, car dans ma ville je ne connais qu'un vegan, et encore, je ne l'ai pas rencontré et il est en couple (sa copine n'est pas vegane par contre).
Bref je ne sais pas où est mon amoureux, mais s'il existe, il doit au moins se questionner sur un éventuel changement de comportement s'il n'est déjà pas vegan.
Affaire à suivre ;))