vendredi 4 mai 2012

Le cannibalisme au secours de la planète.


Il y a quelques mois, le New York Times lançait un challenge à ses lecteurs : « Dites-nous pourquoi il est éthique de manger de la viande ».

Les lecteurs étaient invités à présenter leur argumentation sur base d’un essai (pas plus de 600 mots en l’occurrence) avant le 8 avril 2012. Un groupe de jurés ‘implacables’ composé de Peter Singer, Michael Pollan, Jonathan Safran Foer, Mark Bittman et Andrew Light sélectionnerait alors le meilleur essai qui serait ensuite publié dans le prochain numéro du New York Times.

L’attente insoutenable est maintenant terminée et les défenseurs des droits des animaux peuvent depuis hier découvrir l’essai qui devrait les convaincre qu’ils se trompent en réalité depuis toujours par rapport aux animaux non-humains, de se ruer vers le Mcdo le plus proche et de se repentir devant leurs proches en leur annonçant honteusement qu'ils avaient tort depuis toujours.

J’ai pris la peine (le mot est faible) de traduire cet essai :

En tant que végétarien qui est retourné à la consommation de viande, la question « Est-il éthique de manger de la viande ? » trotte constamment dans ma tête et dans mon cœur. Les raisons pour lesquelles je suis devenu végétarien, puis vegan et pour finir à nouveau un mangeur de viande consciencieux furent toutes éthiques. Les raisons éthiques pour ne PAS manger de la viande sont évidentes : les animaux sont élevés et tués dans des conditions cruelles ; les céréales qui pourraient nourrir les gens mourant de faim sont données aux animaux ; le besoin de terres nourrit la déforestation ; et en mangeant de la viande, on est responsable de la mort d’un être sentient. Excepté le dernier point, cependant, aucun de ces aspects de la consommation de viande sont implicites en mangeant de la viande, et pourtant ils sont exactement ce qui rendent la consommation de certaines viandes immoral. Ce qui m’amène à mon argument principal : manger de la viande élevée dans des circonstances spécifiques est éthique ; manger de la viande élevée en d’autres circonstances est immoral. Tout comme manger des végétaux, du tofu ou des céréales produits dans des circonstances spécifiques est éthique et immoral en d’autres circonstances.

Quels sont ces moyens « justes » et « immoraux » de produire de la nourriture aussi bien animale que végétale ? Selon moi, ils sont  résumés le plus succintement dans l’éthique d’Aldo Léopold : « Une chose est juste lorsqu’elle tend à préserver l’intégrité, la stabilité et la beauté de la communauté biotique. Elle est immorale lorsque elle tend à faire l’inverse. »  En étudiant l’agro-écologie au College Prescott en Arizona, j’étais convaincu que si ce que vous cherchez à accomplir par un régime alimentaire « éthique » est l’impact le moins destructeur dans son ensemble sur cette planète, alors en certaines circonstances, comme vivre dans les prairies sèches et broussailleuses d’Arizona, manger de la viande est, en fait, la chose la plus éthique que vous puissiez faire à part subsister par des haricots tepary et des pignons de noix. Une vache bien-élevée, en plein-air, est capable de transformer la lumière du soleil capturée par les plantes en calories condensées et en protéines à l’aide des microorganismes dans son intestin. Soleil > plantes diverses > vache > humain. Ceci, dans une perspective éthique plus grande, semble bien plus propre que le schéma imbibé de fossiles combustibles du champ labouré par tracteur >  monoculture de soja irriguée > récolte par tracteur > traitement > tofu > expédition > humain.

Bien que la plupart de la production de viande d’aujourd’hui soit un effort écologiquement insensé et éthiquement immoral, heureusement cela change, et on trouve bon nombre d’exemples de systèmes écologiquement bénéfiques, basés sur le pâturage.  Le fait est que la plupart des agro-écologistes s’accordent sur le fait que les animaux font partie intégrante d’un système agricole réellement durable. Ils sont capables de faire passer des nutriments, d’aider au maintien des terres et de convertir le soleil en nourriture de manières qui sont presque impossibles pour nous à faire sans énergie fossile. Si « éthique » est défini comme vivre de la manière la plus bénigne écologiquement possible , alors dans des circonstances assez spécifiques, pour lesquelles chaque consommateur doit s’éduquer, manger de la viande est éthique ; en fait ne PAS manger de la viande pourrait sans doute être contraire à l’éthique.

La question du meurtre d’un être sentient, cependant, subsiste. A cela, chaque être humain doit réagir en se demandant : suis-je prêt à diviser le monde en ce que j’ai estimé être digne d’être épargné par l’inévitable et ce qui ne l’est pas ? Ou une telle division est-elle désespérément artificielle ? Un poème de Wislawa Szymborska, « Eloge de la mauvaise opinion de soi », vient à l’esprit. Il finit par :

Quoi de plus animal
Que la conscience tranquille
Sur la troisième planète du soleil

Selon moi, manger de la viande est éthique lorsqu’on fait 3 choses. Premièrement, vous acceptez la réalité biologique que la mort engendre la vie sur cette planète et que toute vie (dont nous !) est en fait juste de l’énergie solaire temporairement stockée sous une forme transitoire. Deuxièmement, vous combinez cette réalisation avec ce trait humain chéri qu’est la compassion et vous choisissez de la nourriture créée éthiquement, végétaux, céréales et/ou viande. Et troisièmement, vous rendez grâce.

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BOUM ! In your face les vegans.

Voilà donc l’essai ayant récolté l’approbation de ce jury implacable. 

Bon, cet essai transpire évidemment le spécisme par tous ses pores et je n'ose pas consulter les essais en 2e et 3e place vu le risque de fou rire et de douleur à la mâchoire en résultant, mais passons. Doit-on un seul instant être surpris par le contenu de cet essai si on examine deux secondes la composition de ce jury ? Peter Singer, le père de la libération animale, est également le père du mouvement de la viande heureuse, Jonathan Safran Foer, auteur de « Doit-on manger les animaux ? » et Michael Pollan, auteur de « The Omnivore’s Dilemna » ne dénoncent en soi que l’élevage intensif et la ‘cruauté excessive’ infligée aux animaux non-humains. (Je ne sais pas qui sont Mark Bittman et Andrew Light).

Jay Bost, auteur de l’essai gagnant, se décrit comme un ex-végétarien et vegan ayant décidé de remanger de la viande. Bost insiste sur le fait que chacune de ses décisions étaient éthiques. Ce n’est pas surprenant considérant que son travail s’articule autour de l’environnement.

Tout au long de l’essai, il omet de parler du problème moral de l’exploitation et de l’utilisation d’êtres sentients. De son point de vue, un animal est égal à une plante, les deux ne semblent être que des éléments agricoles ; élever un animal et le tuer ne semble pas différent de faire pousser des patates et les récolter. La question éthique ne repose pas sur l’utilisation en soi mais sur la manière dont ces éléments sont utilisés. Rien de neuf sous le soleil d’Arizona : l’animal est une matière première pour l’homme, l’important est que ça se passe éthiquement, surtout du point de vue écologique apparemment.

Vu sa définition très personnelle et spécifique de ce qu’est l’éthique, on est en droit de se demander si dans un cas de surpopulation humaine par exemple (n’est-ce pas déjà le cas ?), ne serait-il pas éthique de consommer des humains ? L’homme est après tout un véritable fléau pour cette planète. Peut-être que le cannibalisme deviendrait une option viable vu son effet global positif sur l’environnement et la communauté biotique ? Et peut-être qu’on pourrait dès lors argumenter, comme Bost, que ne PAS consommer d’humains pourrait en réalité être contraire à l’éthique.

Il me semble en effet que, dans une perspective éthique plus grande, si chaque humain en mangeait dix cela semblerait bien plus propre que le schéma imbibé de fossiles combustibles du champ labouré par tracteur >  monoculture de soja irriguée > récolte par tracteur > traitement > tofu > expédition > humain. Alors qu'avec le cannibalisme ce serait plutôt soleil > plantes diverses > humain > humain.

L’important dans le cannibalisme, c’est de réaliser ces 3 choses : se rendre compte que la mort engendre la vie, que c’est une réalité biologique et que nous ne sommes en réalité que de l’énergie solaire temporairement stockée sous une forme transitoire ; qu’en tant que personne remplie de compassion, il faut choisir des végétaux, céréales et/ou humains qui ont eu une belle vie et ont étés élevés éthiquement ; et en fin de compte, de rendre grâce devant votre repas. Je suis sûr que Bost comprendrait.

2 commentaires:

  1. Je suis d'accord.



    Pour info, je suis tombé sur ce blog parce que je suis en train de lire "Faut-il manger des animaux ?", et, bien que ça livre beaucoup d'informations utiles, je suis totalement déçu par sa vision qui commence à prendre un tour manifestement welfariste, alors qu'il commence pourtant son livre par des réflexions au contraire tout à fait abolitionnistes...

    Ce qui me fait d'ailleurs penser qu'il est bien rare de lire des réflexions (au delà de la simple question de souffrance et de peur "directe" de la mort lorsque l'animal sait qu'il va mourir, et même du droit théorique de l'animal -le droit étant, à mon avis, un concept tout à fait humain; ce qui me gêne puisque appliquer le droit à un animal revient à l'intégrer dans la société humaine et ses règles abstraites, au lieu de le laisser libre de ne jamais y entrer-) sur la mort en elle-même d'un individu sentient et donc "étant". Question qui me semble pourtant fondamentale, puisqu'en ce qui me concerne, je vois très bien en quoi ça me gêne de supposer ma propre mort, et même de poser l'hypothèse que je puisse mourir à l'improviste sans avoir le temps d'éprouver de la peur... Tout comme dans le droit, le fait de commettre un homicide sans engendrer ni peur ni souffrance, à l'insu de sa victime, par exemple pendant son sommeil, reste pourtant bien un crime.
    Ce qui ne pose d'ailleurs pas de problème de compréhension dès lors qu'on parle d'un animal domestique du genre chien ou chat. Même euthanasié sans souffrance et sans peur, on ne sort pas de là avec une totale indifférence.

    Fin de la digression.
    Je marque ce blog, j'y reviendrai sans doute.

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  2. Le raisonnement de l'essai serait valable si la consommation de viande était une nécessité biologique . Or c'est un fait culturel , qui plus est pas désagréable quand la viande est bien cuisinée . Ce plaidoyer en faveur de la viande éthique ressemble à la nostalgie des bons petits plats carnés qui cherche une assise morale ...

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